« Fais un bon voyage ! Tu nous appelles quand tu arrives chez ta grand-mère, hein ?
- Oui papa. » J'ai soupiré pour la énième fois. J'étais contente de partir. De quitter Harrogate, une petite ville qui se situe à environ une heure de York, en Angleterre. J'étais surtout soulagée de quitter ma famille. Oui, vous avez bien lu. Ma famille. Mon père allait me manquer. Ma belle-mère et ses enfants, beaucoup moins. Je ne peux pas dire qu'ils me maltraitaient, disons qu'entre nous tous ce n'était simplement pas l'amour fou. Alors j'avais profité du fait d'avoir l'âge légal, à savoir 16 ans, pour demander à aller vivre chez ma mère. Si je ne pouvais pas y aller auparavant, c'est simplement parce qu'elle n'avait pas le temps d'éduquer une gamine. Elle avait une carrière d'avocate à faire décoller, vous comprenez ? Aujourd'hui, elle n'a toujours pas le temps de s'occuper de moi. C'est pourquoi j'irai vivre chez ma grand-mère. Avec qui, sur les mails échangés du moins, je m'entendais plutôt bien. « Tu vas me manquer. » Je m'étais promis de ne pas pleurer, mais lorsque mon père m'a chuchoté ça à l'oreille, en me serrant das ses bras, la petite larme a coulé.
         Lorsque mon avion a finalement atterrit à New York, j'étais fatiguée et stressée. Granny devait m'attendre à l'aéroport, puisque le café qu'elle tenait se trouvait juste à côté. Elle m'avait dit qu'elle porterait un vieux manteau rouge, et une pancarte à mon nom. Mais ça n'avait pas vraiment aidé. Finalement, c'était elle qui m'a trouvé. « Oh, Andy, regarde-toi, comme tu es jolie ! Et grande. Ça ne me rajeunit pas, ça. La dernière fois que je t'ai vu, tu parlais à peine. » J'ai simplement souri et je l'ai remercié. Après, on est allé au café et à l'appartement qu'elle occupait au dessus... Cela s'annonçait bien. Si j'arrivais à ne pas me perdre dans cette immense ville, et à m'intégrer parmi les Américains.



         La première chose qui avait marqué l'esprit de mes nouveaux camarades, c'est mon accent. Je venais d'Angleterre et je ne parlais pas comme la Reine. Etait-je une extraterrestre ? Je crois que c'est une question que je me suis posée tous les jours par la suite. J'avais l'impression d'être différente. Enfin, je l'étais. Mais certainement trop. Mes priorités n'étaient pas d'entrer chez les pom-pom girls – les cheerleaders, devrais-je dire – n'étaient pas centrées sur la mode et les garçons. Mais il n'y avait pas ce genre de chose chez moi. Et vivre avec des personnes qui me détestaient ( et que je détestais ) ne m'avait pas rendu si sociable. J'étais généralement le nez fourré dans un bouquin lorsque j'étais dehors. Et quand j'étais chez moi, je m'amusais sur l'ordinateur... A jouer à des jeux vidéos, à créer des programmes, à pirater celui du voisin. Je ne me suis pas intégrée au lycée, donc. J'étais « Andy l'étrangère » et au fond, je crois que ça m'arrangeait bien.
         J'attendais le soir de rentrer au foyer. J'aidais Granny à tenir son commerce, à faire les comptes, gérer les stocks... Le week-end, j'aidais même au service. Et j'avais déjà vu mon avenir tout tracé : le lycée terminé je deviendrai un membre de l'entreprise. Mais ma grand-mère n'était pas d'accord. Et quand j'ai finalement obtenu mon diplôme, elle m'a poussé à m'inscrire à l'université. L'université, pourquoi faire ? me disais-je. Ça allait être la même ambiance que le lycée : une Andy dans son coin, une Andy sans amis, une Andy qui s'ennuie en cours... Mais j'ai fini par céder : je me suis inscrite. Et j'ai décidé d'étudier l'histoire. J'ignore encore pourquoi, alors que j'étais – et je suis encore – branchée lecture. Mais je pense que c'est le côté confortable de l'histoire qui ne change jamais qui m'a attiré. Partisane du moindre effort, vous croyez ?



          «Aaaaandy. Ici la terre ! On t'appelle.
- Hein quoi ?
- Tu ne regardais pas encore Charles, pas vrai ?
- Non, bien sûr que non. » J'ai répondu avec un sourire qui se voulait innocent. Mon amie a levé les yeux au ciel avant de hausser les épaules et de finalement m'ignorer. Je crois que c'est le moment rendez-vous alcoolique anonyme. Bonjour, je m'appelle Andy et...
         Et je ne suis pas alcoolique. Je suis en deuxième année d'étude d'histoire à Great Academy. J'aime bien ça, étonnement. Je fais parti de la confrérie des Héphaïstos. Pourquoi ? Rejoindre une confrérie te donne un certain rang social, non ? Celle-là me semblait la plus approprié. Un peu effacée, qui se cherche encore... J'y suis entrée dans l'idée de me faire des amis. Je m'en suis fait. C'est chouette, pas vrai ? Au moins, je ne suis plus connue comme la fille à l'accent étrange. J'habite dans l'appartement de ma mère, qui est actuellement à Paris. C'est plus pratique, il est plus proche de l'université, et ça me donne l'impression d'être indépendante. Je passe dès que possible voir Granny. Je l'aide encore un peu le week-end, quand j'ai le temps. Et puis, il y a Charles, aussi. C'est un Héphaïstos. Il a une année d'étude de plus que moi. Je l'ai rencontré l'année dernière, un peu après Noël. Il était en galère niveau finance, alors je lui ai proposé de venir travailler au café. Je crois que je l'aime bien.
         Je pense que je me suis bien intégrée, finalement.