Autant vous le dire tout de suite, je suis fils unique, héritier d'un politicien renommé et d'une femme qui a eu la présence d'esprit d'épouser un compte en banque et non le prince charmant. Au lieu de dépérir, de crever de faim en attendant l'amour de sa vie, voir même l'amour tout court, quelqu'un a du lui dire d'arrêter de courir après des chimères (genre "oh, jolie coeur, tu crois encore que l'amour existe ? Tant de naïveté dans un si joli corps, quel gâchis", enfin moi c'est ce que j'aurais dit si j'avais voulu être poli) et de se servir de son joli minois pour attraper le gros lot. Et elle a réussi. Elle s'est même mariée, la pauvre folle. Puis elle est tombée enceinte, a eu un garçon (moi, pour les simplets du commun des mortels) et s'est rendue compte trop tard qu'une famille du titre des Anderson obéissait à une vieille tradition : la monarchie du patriarche. J'ai donc été élevé comme un homme, par des hommes (oncles, grand-parents, tous s'y sont mis pour faire de l'héritier leur idéal). Le moindre de mes caprices était vu comme une bénédiction : "c'est qu'il sait ce qu'il veut le bonhomme ! Et il persiste en plus ! Il tient le bon bout, il ira loin ce petit !", la moindre de mes vengeances les rendaient béats : "regarde comme il est ingénieux, on ne l'avait pas venir celle-là !". J'ai donc goûté au pouvoir des mon plus jeune âge ; je n'y ai jamais renoncé depuis.

Mon enfance ne fut donc ni heureuse, ni malheureuse. Règles strictes et prestance à apprendre mais en contre-partie, tout m'était dû. Je n'ai jamais manqué de rien : jeux, espaces, voyages, activités culturelles, tout y est passé. Pitoyable. Insuffisant. Ooooh, le pauvre enfant qui a manqué d'amour : je vous entends pensé d'ici, c'est tellement prévisible, ça me donne envie de vomir. Ce n'est pas l'amour qui me manquait mais des défis à relever, de l'adrénaline. C'est à l'adolescence que ça a pris forme : l'envie de faire des frasques, d'en faire voir de toutes les couleurs au monde entier puisque ma famille ne me suffisait plus.

Ma première fois, j'ai fait une oeuvre d'art dans les couloirs du collège : installation d'un marécage intérieur. Bien que mon investissement, notamment temporel mais aussi artistique, était remarquable, pourtant personne n'y trouva là une oeuvre d'art. La punition, la première de ma vie, me fut insoutenable. J'avais 14 ans et je venais de comprendre que j'allais devoir jouer deux rôles jusqu'à la fin de ma vie : le petit garçon à papa, bien élevé, parfait en somme et le vagabond, le fouteur de merde en dehors de tout leur luxe. Les règles étaient posées si je souhaitais garder mon compte en banque, je n'avais plus qu'à m'y tenir. Pour me racheter une conduite, je fis mine d'avoir eu besoin de me défouler, d'extérioriser mon énergie. On compris que j'avais besoin de faire du sport et on m'inscrivit au football américain. Mince, rapide, en arrière j'étais parfais. Et pour la première fois de ma vie, je faisais quelque chose en équipe. C'est fou ce sport. Il m'a passionné, m'a donné mes seuls, uniques amis. Pour une fois, je parlais à des gens et ce n'était ni pour les traumatiser, ni pour les rabaisser, ni pour leur donner des ordres.

Et j'ai continué de grandir, accumulant les 400 coups sans qu'aucun Anderson ne s'en aperçoive. Sur le terrain, je suis le coéquipier parfait. Avec mes deux seuls amis, je suis prêt à leur donner le monde. Dans la limousine, je suis le petit gentleman, adulé et adoré. A l'université, je suis un tyran tout autant qu'un charmeur et qu'un fêtard. J'aime m'amuser, de tout et avec tout, l'alcool souvent (qui accroît d'ailleurs mon imagination débordante, voir même un sacré grain de folie). Bref, je suis passé maître dans la manipulation, la conception de plans machiavéliques mais aussi dans l'art de me faire apprécier des bonnes personnes, même si je n'en pense pas moins. Finalement, je suis une sorte d'ouragan vivant : je fascine de loin, par mes manières-mon sourire charmeur-mes discours mielleux mais je détruit tout mon environnement direct. Je suis un anarchiste, je n'ai ni lois ni maîtres. Mais je dois me montrer prudent, rien ne doit arriver aux oreilles du père Anderson.