Je suis dans un jet pour New York, un avion privé bien évidemment pour plus de sureté, je suis près de ma petite sœur, Louison. Elle dort et moi, je n’y arrive pas. Pour tout dire depuis ce jour-là, je dors peu, je sursaute souvent, bref, je ne suis plus vraiment moi-même. Les vraies raisons de ma présence ici, le fait que je quitte Bâton-Rouge ? C’est à la fois loin et proche, c’est étrange, ma vie a tellement changé en quelques mois. Ma vie n’a pas été des plus faciles, et pourtant, je ne m’en suis jamais plainte, pas même lorsque ma mère nous a quittés, comme un soir, elle n’est pas rentrée et on ne l’a jamais revu. J’avais 14 ans, Louison 6. Mon père, il n’était jamais là, il travaillait, alors c’est moi qui me suis occupée de ma sœur, je l’ai élevé en quelque sorte. Louison et ses problèmes, Louison qui avait tellement besoin d’une mère et pas d’une sœur qui ne savait pas comment la gérer. Avec le temps, j’ai fini par comprendre que notre mère ne devait pas nous aimer pour nous abandonner, sinon, elle ne l’aurait pas fait. On arrivait à s’en sortir avant que l’ouragan Katerina ne vienne tout détruire, la maison et tout ce qu’on avait. J’avais 18 ans, en 2005, on a tout perdu, tout. La maison la voiture, on n’avait plus rien. Comme on n’avait pas d’assurance, mon père n’a rien touché, il s’est mis alors à travailler avec des gens qui ne me plaisaient pas, j’en avais peur, lorsqu’ils étaient avec lui à la maison, mais je ne disais rien et Louison non plus. J’ai arrêté les études après le bac et j’ai trouvé un petit boulot pour payer les factures, même si mon père ne voulait pas que je le fasse. Et puis, il y a eu ce jour, il y a un an, j’étais dans le salon avec Louison, j’étais heureuse et elle aussi, parce que pour son anniversaire, je lui avais acheté la dernière console de jeux et nous allions pouvoir enfin pouvoir jouer à son jeu qu’elle me réclamait depuis des mois. On avait à peine déballé le carton, que mon père a débarqué dans le salon, nous demandant de nous taire, il nous a forcés à nous mettre dans un placard, on devait garder le silence et j’avais beau lui demander ce qu’il se passait, il n’a jamais répondu. Je le sentais nerveux et lorsque la porte a été défoncée, j’ai bloqué la bouche de Louison pour ne pas qu’elle crie. Le reste…je l’ai déjà raconté au tribunal, les trois hommes, les coups de couteau, les supplications de mon père, ma sœur qui crie en voyant le corps tombé et le sang se rependre. J’avais peur, mais je ne sais plus comment j’ai surmonté ça, j’ai saisi la main de Louison et j’ai fuie avec elle par le jardin, j’ai couru aussi vite que possible, jusqu’au commissariat, depuis ce temps-là…ma vie est pire que tout. Ballotter entre les flics et les tribunaux, sous surveillance permanente, Louison, elle a du mal avec tout ça, moi j’assume et je dois être forte, mais pour tout dire, le soir, lorsque je suis seule, c'est-à-dire sous la douche ou dans la salle de bain, je pleure, je craque. Je ne suis pas aussi forte que je le devrais, je voudrais retrouver une vie normale et c’est pire encore depuis que les types ont été relâchés pour faute de preuve, mes angoisses sont toujours là, dans ma gorge, j’ai peur qu’ils nous retrouvent pour ne pas qu’on témoigne de nouveau, qu’ils me tuent comme ils ont fait avec mon père. J’ai peur pour Louison aussi. Du coup, c’est le FBI qui a été mis sur l’affaire, nous, on est des objets utiles, on est transféré sur New York, en mode protection des témoins, il faut attendre le prochain jugement, mais après… même s’ils sont enfermés, ils ont des amis dehors…je ne pourrais jamais être libre, retrouver ma vie…je le sais…même s’ils ne le disent pas.